Un article de la Constitution peut bouleverser l’équilibre du pouvoir, sans que la majorité des citoyens n’en mesure la portée. L’article 37, discret mais redoutablement efficace, façonne les rapports entre Parlement et gouvernement bien davantage qu’on ne l’imagine. Derrière la technicité du texte, se joue une mécanique de contrôle et d’ajustement, sans cesse remise en question depuis 1958.
Le Parlement n’agit pas à sa guise : sa marge de manœuvre est bornée par la liste précise des compétences que la Constitution lui réserve. Dès qu’un domaine échappe à cette énumération, il tombe sous la responsabilité du pouvoir exécutif, qui le régit par voie réglementaire. Ce découpage, loin de rester figé, a été retouché, réinterprété, et parfois contesté, en particulier devant le Conseil constitutionnel.
La possibilité pour le gouvernement de « délégaliser » certains sujets, c’est-à-dire de les reprendre à la loi pour les gérer par règlement, montre bien que le partage des pouvoirs n’est jamais totalement stabilisé. À chaque étape, le Conseil constitutionnel veille à l’application du texte, arbitrant les zones grises, tandis que la jurisprudence affine le périmètre réel de chaque institution.
Comprendre le partage des compétences législatives : articles 34, 37 et 38 de la Constitution
Pour saisir le fonctionnement de la Constitution française, il faut d’abord distinguer ce qui relève de la loi de ce qui relève du règlement. L’article 34 établit une liste fermée de matières réservées au législateur : libertés publiques, droit pénal, fiscalité, nationalité, organisation des collectivités territoriales. Tout ce que cette liste ne couvre pas relève automatiquement de l’article 37 : le gouvernement peut alors intervenir librement, sans passer par le Parlement, à travers décrets ou arrêtés.
Ce découpage n’a rien de théorique. Il trace la limite entre ce que le législateur peut décider et ce que le gouvernement peut régler. Si le Parlement sort de son champ, le Conseil constitutionnel peut censurer la loi pour inconstitutionnalité. À l’inverse, le gouvernement utilise l’article 37 pour s’emparer de sujets qui ne sont pas explicitement attribués à la loi.
Voici comment se répartissent les textes :
- Article 34 : définit avec précision les champs réservés à l’action du législateur.
- Article 37 : confère au gouvernement l’autorité pour réglementer tout ce qui n’est pas mentionné à l’article 34.
- Article 38 : autorise le gouvernement, après aval du Parlement, à intervenir par ordonnance dans le domaine législatif.
En pratique, la séparation n’est pas toujours nette. Il arrive que des règles de nature réglementaire se glissent dans une loi, ou que des éléments de nature législative se retrouvent dans un décret. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État jouent alors un rôle de régulateur, rappelant à l’ordre les acteurs politiques et, au besoin, réajustant la frontière entre loi et règlement. Cette dynamique façonne la production du droit et la relation entre institutions.
Pourquoi l’article 37 occupe une place centrale dans l’équilibre institutionnel français ?
L’article 37 n’est pas une simple clause administrative : il marque la volonté de la Ve République de rompre avec l’inflation des lois qui avait paralysé la IVe République. Le domaine réglementaire y gagne en consistance, face à un Parlement auparavant omniprésent. La Constitution a voulu clarifier les rôles : tout ce qui n’est pas défini comme relevant de la loi reste entre les mains du gouvernement. Conseil constitutionnel et Conseil d’État surveillent ce partage, ajustant la ligne au fil des contentieux.
Un mécanisme spécifique, souvent méconnu, vient garantir cette répartition : la procédure de déclassement. Si une règle votée par le Parlement aurait dû relever du règlement, le gouvernement peut, après consultation du Conseil d’État, demander son transfert dans le champ réglementaire. Cette possibilité limite l’engorgement législatif et évite que le Parlement ne soit submergé par des sujets de moindre portée.
Pour mieux comprendre ce rééquilibrage, il faut regarder les effets concrets :
- Assemblées parlementaires : elles recentrent leur activité sur les questions fondamentales, laissant les détails réglementaires au gouvernement.
- Gouvernement : il retrouve la capacité d’agir rapidement, de fixer ou modifier les règles sans attendre un débat parlementaire.
- Conseil constitutionnel : il veille à la stricte application de la Constitution, arbitre ultime des conflits de compétence.
L’article 37 agit ainsi comme un rempart contre la prolifération de lois inutiles et protège la souplesse du règlement. Le Président de la République et le gouvernement s’appuient sur ces outils pour préserver l’équilibre institutionnel, sans jamais affaiblir les principes fondamentaux posés par la loi ou par la jurisprudence constitutionnelle.
Les implications concrètes pour le citoyen et les acteurs publics
L’article 37-1 introduit un levier d’innovation peu connu : l’expérimentation normative. Ce dispositif autorise l’administration et les collectivités territoriales à déroger, pour une durée limitée, à certaines règles fixées par la loi ou le règlement. Par exemple, une région peut tester une nouvelle organisation du service public avant qu’elle soit éventuellement étendue à tout le pays. Cette capacité à expérimenter permet d’ajuster plus vite les politiques publiques, qu’il s’agisse du financement de la sécurité sociale ou de l’aménagement local.
Le principe d’égalité devant la loi demeure au cœur du système français. Pourtant, avec l’article 37-1, l’égalité n’exclut plus entièrement la diversité : les expérimentations sont permises, sous réserve qu’elles respectent les garanties fondamentales reconnues à chaque citoyen. Ce point, régulièrement débattu, occupe une place centrale dans les préoccupations des élus et des juristes, qui cherchent à concilier innovation et sécurité juridique.
Voici quelques conséquences concrètes de cette dynamique :
- Les collectivités territoriales disposent désormais d’une marge d’action plus large, pouvant adapter les normes à leurs besoins spécifiques. Ce mécanisme se révèle particulièrement utile dans les départements et régions d’outre-mer, confrontés à des réalités différentes de la métropole.
- Les citoyens bénéficient de droits protégés par la Déclaration des droits de l’homme, tout en participant, ponctuellement, à des dispositifs expérimentaux, toujours sous le contrôle vigilant des juridictions.
L’avis du Conseil d’État et la vigilance du Conseil constitutionnel restent des garanties incontournables pour s’assurer que toute expérimentation reste compatible avec les principes de la Constitution. À chaque nouvelle initiative, la tension entre adaptation et respect des droits fondamentaux s’invite dans le débat. L’article 37, discret mais décisif, continue ainsi de dessiner les contours de la vie démocratique française, à la croisée de la tradition et de l’innovation.

